Les autoroutes (routes nationales) apportent une contribution décisive à la mobilité sur le territoire suisse. Elles créent des liaisons rapides, efficaces et sûres entre les grandes agglomérations de l’ensemble du pays. Leur contribution à l’économie est décisive.
Le réseau s’étend sur quelques 2’200 km et s’avère d’une très grande efficience car il absorbe 41 % du trafic routier privé et pratiquement 70% du trafic routier de marchandises (prestations kilométriques), et ceci sur moins de 3% du réseau routier global. D’autre part, le réseau des routes nationales absorbe 800 personnes-kilomètres par mètre carré. C’est 2,5 fois plus que le train, et 8 fois plus que le reste du réseau routier (sources OFROU).
Le réseau des routes nationales a été conçu dans les années 1950 et réalisé en grande partie dans les années 1960 et 1970. Depuis, il n’a guère évolué alors même que la population a beaucoup augmenté. Ainsi, la Suisse comptait 5,3 millions d’habitants en 1960 contre plus de 9 millions aujourd’hui (+ 70%). Quant au canton de Vaud, sa population a même doublé durant le même laps de temps. Sans surprise, les besoins de mobilité ont augmenté en parallèle et, sur certains secteurs du réseau des routes nationales, une offre minimale n’est plus assurée. En effet, ces secteurs sont régulièrement saturés au point de constituer des goulets d’étranglement. En 2023, on a dénombré pas moins de 40’000 heures de bouchons dont les coûts se chiffrent en milliards pour l’économie. Les premiers perdants sont les consommateurs qui voient les coûts de tous leurs biens augmenter dans un contexte d’inflation et de réduction du pouvoir d’achat.
Les prévisions démographiques laissent entrevoir la poursuite de l’augmentation de la population avec comme corollaire de nouvelles dégradations des conditions de circulation sur les routes nationales. Ainsi, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) prévoit une augmentation de la demande de mobilité de + 11 % pour le transport de personnes et de + 31% pour le transport de marchandises d’ici 2050. Cette évolution est due à la poursuite de la croissance de la population, mais aussi à l’augmentation tendancielle de consommation de loisirs.
Jusqu’à présent, la Confédération a fait son maximum pour préserver la fonctionnalité du réseau des routes nationales sans procéder à des travaux d’extension de capacité par souci d’économicité (système de régulation aux entrées des autoroutes, abaissement des vitesses, interdiction de dépassement des camions en cas de trafic, etc.). Compte tenu de l’évolution de la situation, ces mesures techniques arrivent néanmoins à leurs limites. C’est la raison pour laquelle la Confédération a mis en place un Programme de développement des routes nationales (PRODES) consistant principalement en des élargissements ponctuels du réseau. L’étape d’aménagement 2023 s’inscrit dans cette logique et prévoit six projets d’augmentation de capacité ciblés sur des tronçons totalisant 53 km, soit 2.3% de l’ensemble du réseau des routes nationales. L’un des tronçons, sur 19 km, concerne les cantons de Vaud et de Genève. Il s’agit du passage de 2×2 à 2×3 voies de l’A1 entre Nyon (VD) et Le Vengeron (GE).
Les montants prévus pour financer l’élimination des goulets d’étranglement autoroutiers ci-dessus se montent à CHF 5.3 milliards, dont environ 900 millions pour le tronçon Nyon-Le Vengeron. Ils proviennent de la surtaxe sur les carburants, de l’impôt à l’importation sur les automobiles et de la vignette autoroutière. Ils ne sont donc pas à charge des contribuables. Formellement, ces moyens sont affectés au Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA) et ne peuvent servir qu’au financement des travaux liés aux routes nationales. Il s’agit même d’un mandat constitutionnel. Par conséquent, il n’y a aucune concurrence possible entre le financement du développement des routes et celui du rail (qui bénéficie lui aussi d’un fonds séparé).
Au lieu de non-concurrence, il serait plus adapté d’évoquer une interdépendance. Bien loin de se marcher dessus, ces deux modes de transports dépendent grandement l’un de l’autre. En effet, compte tenu du stress actuel sur les infrastructures de transport routières et ferroviaires, aucun report modal d’ampleur n’est envisageable. En d’autres termes, il n’est pas possible pour le rail d’absorber ne serait-ce qu’une fraction du trafic automobile (et vice-versa). Dans la région lémanique, cette situation est d’autant plus vraie que l’exploitation ferroviaire rencontre des difficultés particulières. Les sillons sont surexploités et les grandes lignes, tout comme les RER, connaissent une fréquentation record. D’autre part, la ligne CFF Lausanne-Genève ne connaît pas de redondance, ce qui rend l’exploitation très vulnérable aux interruptions de service. Cette situation fait de l’autoroute A1 la seule « voie de secours » praticable en cas d’incident ferroviaire majeur. Les épisodes des trous de Tolochenaz (2021) et de Renens (2023) l’ont bien illustré, lorsque des centaines de bus de remplacement ont maintenu un service minimal entre Lausanne et Genève.
Pour maîtriser les flux de trafic futurs, des investissements sont nécessaires aussi bien pour la route que pour le rail et les transports publics. A ce sujet, notons que la Confédération a prévu des crédits d’environ 27 milliards de francs pour les étapes d’aménagement ferroviaires 2025 et 2035 (entretien et développement). Pour l’étape d’aménagement PRODES, dont l’horizon de réalisation est 2030, la Confédération ne prévoit que 17 milliards de francs (entretien et développement). L’accent est donc déjà mis sur le rail par rapport à la route.
Comme nous l’avons signalé, les routes nationales sont d’ores et déjà fortement sollicitées sur de nombreux tronçons. En 2022, 40’000 heures d’embouteillages y ont été recensées, contre près de 30’000 heures « seulement » en 2019. Autre constat préoccupant: entre 2010 et 2019, le nombre d’heures de bouchons enregistrées sur les routes nationales a pratiquement doublé, alors que le nombre des kilomètres parcourus ne progressait que de 17%. Ce phénomène de hausse modérée du trafic générant une explosion des heures de bouchons témoigne de la fragilité d’un réseau qui atteint ses limites. Selon les estimations de la Confédération, les usagers se verront confrontés à plus de 450 km d’autoroutes régulièrement surchargés, y compris hors des heures de pointe, si rien n’est entrepris pour faire face à cette évolution.
Les perspectives du trafic 2050 publiées récemment par l’Office fédéral du développement territorial relèvent que le transport individuel motorisé ne cédera que peu de terrain aux transports publics et à la mobilité douce. En effet, chacun de ces modes de transport est proche de sa taille critique. En d’autres termes, il n’y aura pas de changement significatif au niveau des parts modales de chacun de ces types de transport. On doit donc continuer à investir tant dans la route que dans le rail.
Sans élimination des goulets routiers, le niveau de congestion va se renforcer et causer des dommages irréversibles à l’économie et en premier chef aux consommateurs qui paieront leurs produits beaucoup plus chers en bout de chaîne (en raison d’une accumulation de coûts de transport élevés). Rappelons que les embouteillages entraînent des pertes de temps qui ont un coût économique estimé à 1’180 millions de francs en 2019 pour les seules routes nationales (OFS).
Rappelons encore que les routes nationales jouent un rôle clé pour l’approvisionnement de base du pays. En effet, elles assurent 70% de l’ensemble du transport routier de marchandises, soit 63% du transport global de marchandises en Suisse. Parmi ces marchandises se trouvent d’innombrables biens de première nécessité dont les perturbations des chaînes d’approvisionnement risquent de causer des effets graves sur certaines branches de l’économie qui dépendent de livraisons à flux tendus (denrées périssables par exemple). On peut donc dire que les routes nationales sont réellement indispensables pour assurer le bon fonctionnement de l’économie et des petites et moyennes entreprises (PME).
Enfin, notons encore que la mobilité n’est pas une fin en soi. Une infrastructure de transport ne génère pas de trafic en elle-même. Ce qui compte, c’est la demande et ses ressorts sont complexes. Ils ne dépendent pas de la seule mise à disposition d’une infrastructure. En réalité la demande en mobilité dépend d’un savant mélange de facteurs, tels que les besoins économiques, le temps libre/de loisirs disponible, les coûts de l’énergie, etc. Certes, un élargissement permettant de fluidifier le trafic attirera à la marge quelques nouveaux usagers stimulés par quelques gains de temps, mais il permettra surtout de drainer sur l’autoroute le trafic local ou même régional de transit. En clair: la demande n’est que peu influencée par l’offre. Notons à cet égard que la prestation de trafic sur les routes nationales a augmenté de +137% depuis 1990, alors que le réseau n’a pratiquement pas été élargi depuis cette date (+17 km seulement depuis 2008).
Les perturbations du trafic sur les routes nationales que nous avons évoquées ci-dessus entraînent souvent leurs reports sur le réseau routier secondaire (routes de campagnes, routes villageoises etc.). Lorsque les autoroutes sont en échec, c’est donc tout le réseau routier qui souffre. En effet, les bouchons autoroutiers incitent de plus en plus d’automobilistes à les quitter et à s’engager dans des circuits complexes (souvent avec l’aide d’application de navigation sophistiquées) sur le réseau secondaire. Ces types de comportements sont observés de plus en plus souvent, en particulier dans le canton de Vaud. Ils provoquent des nuisances parfois graves dans des villages ou petites agglomérations qui n’ont pas l’habitude de voir passer du trafic de transit.
Cette situation engendre des risques accrus pour les piétons, les cyclistes et les transports publics locaux car ils se trouvent dans une situation de concurrence accrue avec les transports individuels motorisés sur de petites chaussées. Selon l’OFROU, sans une augmentation ciblée de la capacité sur l’autoroute, le trafic augmentera fortement sur le réseau secondaire avec des conséquences difficilement contrôlables. En effet, le trafic d’évitement des autoroutes est impossible à juguler efficacement par les autorités. Il se fera donc sur le dos des riverains de ces petits axes de transport qui verront leur qualité de vie s’amenuiser.
Rappelons, en passant, que si les autoroutes sont sûres c’est, entre autres, parce qu’elles interdisent la concurrence entre plusieurs modes de transport. D’autre part, les autoroutes suivent des tracés sécurisés qui évitent le plus possible les agglomérations. Quand ce n’est pas le cas, des dispositifs anti-bruit sont installés afin de limiter au maximum les nuisances. Par conséquent, canaliser un maximum de trafic sur l’autoroute, c’est pacifier les petites villes et les villages d’un trafic dont elles ne veulent pas et qui, à termes, prétéritera leur attractivité. Toutefois, cette canalisation ne peut survenir que si le réseau des routes nationales est adapté selon ses besoins.
L’une des craintes des opposants aux élargissements ciblés des autoroutes est liée à la création d’entonnoirs potentiels à l’entrée des villes. Par exemple, un passage de 2×2 à 2×3 voies sur un tronçon tel que celui entre Nyon et Le Vengeron risque de déboucher sur un entonnoir en arrivant à Genève. C’est argument doit être balayé pour au moins trois raisons. Tout d’abord, le débouché sud de l’A1 en direction de l’aéroport sera prochainement élargi de 2×2 à 2×3 voies lui-aussi. A plus long-terme, l’OFROU propose d’élargir selon les mêmes modalités l’ensemble de l’autoroute de contournement de Genève. D’autre part, plusieurs projets d’agrandissement de jonctions autoroutières (ou même de nouvelles jonctions) sont en projet, ce qui permettra de distribuer la circulation de manière plus judicieuse entre une autoroute élargie et le réseau secondaire (tout en réduisant les distances parcourues par les automobilistes). Enfin, il est prévu que plusieurs P+R soient construits autour des grandes villes suisses non loin des sorties d’autoroutes. Ces P+R constitueront des interfaces qui éviteront qu’un surplus de trafic ne se déverse dans le centre des villes. Le financement de ces infrastructures est d’ailleurs directement soutenu par la Confédération via les programmes d’agglomération.
A l’occasion de chaque projet d’extension de capacité des autoroutes (même minime), la Confédération entreprend une évaluation des effets attendus sur les plans économiques, sociaux et environnementaux. Ce processus comprend trois instruments d’évaluation complète, dont une analyse coûts-avantages (ACA), une analyse coûts-efficacité (ACE) et une analyse qualitative (AQ). Parmi les éléments pris en considération dans les deux derniers types d’analyse nous trouvons les indicateurs environnementaux suivants : 1) bruit et pollution de l’air; 2) qualité des biotopes et des eaux; 3) surfaces nécessaires et fertilité du sol; 4) impact sur le climat et 5) impact environnemental durant les travaux. Les enjeux environnementaux sont toujours pris en compte dans le cadre d’une évaluation globale et une pesée d’intérêts est effectuée (ce qui a amené plusieurs projets à ne pas avoir été retenus). Les projets de l’étape d’aménagement 2023 obtiennent au final un résultat clairement positif avec un rapport coûts-bénéfices de 2,24, ce qui signifie que chaque franc investi génère un avantage économique de 2,24 francs.
Certes, les élargissements prévus vont consommer de l’espace/des terres cultivables (SDA) et, partant, représenter une charge pour l’environnement. Selon les données de la Confédération on parle néanmoins de moins 3.3 hectares de SDA perdues pour le tronçon Le Vengeron – Nyon, soit l’équivalent de 4 terrains de football. Rappelons à cet égard que la surface moyenne d’une exploitation agricole est de 21 hectares. D’autre part, soulignons ici qu’il ne s’agit pas de créer une nouvelle infrastructure dans un paysage vierge, mais d’élargir à la marge une infrastructure déjà existante et dont les abords immédiats ont été rendus inconstructibles pour préparer d’éventuels élargissements.
Lorsque des surfaces d’assolement sont utilisées pour les routes nationales, elles doivent être compensées dans la même mesure et en tenant compte de la qualité, avec le soutien des cantons concernés (voir le message relatif à l’enveloppe financière des routes nationales 2024-2027). Les quelques hectares perdus entre Nyon et Le Vengeron seront donc compensés intégralement ailleurs.
L’élargissement de quelques mètres du tronçon autoroutier Le Vengeron – Nyon ne prétérite en aucun cas la faisabilité d’une deuxième ligne ferroviaire entre Lausanne et Genève dont le coût pourrait atteindre CHF 10 milliards. La coordination entre ces deux projets est l’une des priorités affichées par l’Office fédéral des transports (OFT) et les CFF. Or, si l’une des hypothèses envisagées pour la réalisation de cette nouvelle ligne pourrait poser des problèmes de coordination entre les deux projets (i.e. une tranchée couverte ferroviaire sous la troisième voie d’autoroute), l’autre ne pose en revanche aucun problème (i.e. un tunnel ferroviaire). Ces conclusions figurent noir sur blanc dans une étude préliminaire réalisée par les CFF et publiée en 2023.
Par conséquent, celles et ceux qui parlent d’une « collision de tracé » entre la route et le rail font preuve de mauvaise foi. Ici aussi, la route et le rail se révèlent complémentaires plutôt qu’en opposition. Notons enfin que la nouvelle ligne ferroviaire entre Lausanne et Genève ne sera complètement réalisée qu’à l’horizon 2050, voire 2060 (si le projet va à son terme, ce qui n’est pas encore certain à ce stade). C’est bien plus tard que l’extension de capacité prévue entre Nyon et Le Vengeron dont l’horizon de réalisation est fixé à 2035-40 par l’OFROU.
Comité de contact
« Oui à l’élargissement des tronçons d’autoroute »
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